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LA VERITE SUR L 'AFFAIRE DUTROUX

LE CHAGRIN DU JUGE CONNEROTTE

                                                        CONNEROTTE

 

                                                                                        

Article paru dans le journal LE SOIR du 05/03/2004 par Marc METDEPENNING

 

Emu, le juge d'instruction parle des pressions subies. Il dénonce la rétention d'informations par la gendarmerie.

Une intense émotion s'est répandue jeudi dans la salle d'audience de la cour d'assises du Luxembourg qui juge depuis lundi Marc Dutroux et ses trois coaccusés. Appelé à témoigner, le juge d'instruction Jean-Marc Connerotte a faibli. « Le Chevalier blanc » a pleuré. Sa gorge s'est nouée à l'évocation des emprises sur sa vie privée provoquées par sa mise sous protection, en septembre 1996, par la gendarmerie. Une opération de mise sous cloche de lui-même et du procureur du Roi Michel Bourlet.

Son témoignage a aussi redit ce que furent ces journées de l'été 1996, ses tensions, les manoeuvres de l'ombre qui l'animèrent. Evoquant le professionnalisme effrayant de Dutroux, le juge a aussi mis en cause la gendarmerie. Celle-ci surveillait le criminel mais a caché certaines informations. Tout était là pour élucider l'affaire. Si la juge Martine Doutrèwe avait été en possession de ce que j'avais en août 1996, elle aurait réussi.

De l'affaire, le juge Connerotte a livré un exposé froid et méthodique, appuyé par la projection de tableaux arides. Une image forcément incomplète de l'affaire Dutroux : son témoignage ne concernait que les faits dont il a eu connaissance avant son dessaisissement le 14 octobre par la Cour de cassation.

Un premier incident a par ailleurs surgi entre les avocats de la défense et ceux de Lætitia Delhez. Me Attout, défenseur de Michel Nihoul, a glissé au détour d'une question anodine que Me Beauthier, avocat de Lætitia, fut également en 1994 l'avocat du juge Connerotte. Le ton est monté. Le bâtonnier de Neufchâteau a dû être requis.

A l'extérieur du tribunal, l'ambiance n'est pas beaucoup plus sereine. Au point que les huit bâtonniers concernés par le procès ont rappelé les règles de bonne conduite aux avocats. Pas question, affirment-ils, de porter atteinte à leur liberté d'expression mais bien d'éviter que le procès ne se déroule sur les plateaux de télévision. Avant le procès Cools, cet automne à Liège, puis à l'aube du procès Dutroux, les bâtonniers avaient déjà imposé des règles strictes aux avocats. Avec une efficacité plus que mitigée.·

 

 

Le chagrin sincère du juge Connerotte

* Le magistrat a craqué au souvenir de l'été 1996. Il met en cause la gendarmerie. Selon lui, il fut mis « sous cloche » par l'état-major. Un Français fut le prétexte à sa mise sous « protection ». Un violent incident d'audience a opposé l'avocat de Nihoul à celui de Lætitia.

 

AUDIENCE

 

Les jurés de la cour d'assises du Luxembourg sont repartis jeudi soir (vendredi est jour de relâche au procès d'Arlon) chez eux, aux quatre coins de la belle province, avec cet instant d'émotion rare que leur a confié, jeudi, le juge d'instruction Jean-Marc Connerotte appelé à la barre des témoins.

Il est 12 h 38. Le juge s'arrête subitement dans son récit. Il baisse la tête. Son micro diffuse dans la salle une plainte, un sanglot, ce hoquet qui précède les larmes qu'on essaye de contenir. Il fait face à la Cour. Les avocats, le public, la presse, les jurés ne voient quasiment rien de son visage maigre. Le silence envahit la salle ronde des assises. L'instant est empreint de solennité. Dans le public, des oh discrets se font entendre. Ces quelques secondes sont une éternité. A la barre, le juge a craqué. Le « Chevalier blanc » a cédé à l'émotion. Le « petit juge », une fois de plus, a révélé son humanité.

Le président Groux attend qu'il se reprenne.

- Vous préférez que nous suspendions, glisse-t-il doucement.

Juste avant de s'effondrer, Jean-Marc Connerotte, que les huit années écoulées ne semblent pas avoir changé physiquement ou vestimentairement, expliquait à la Cour le poids des mesures de sécurité qui lui furent imposées, ainsi qu'au procureur du Roi de Neufchâteau Michel Bourlet en septembre 1996 : gardes du corps, Mercedes blindées, domiciles et familles placées sous protection.

- La lassitude vous gagne quand ça dure. Surtout quand cela atteint la vie privée.

C'est sur ce dernier mot qu'il a flanché. Sur cette crainte pour les siens, sur ces incursions gendarmesques infligées à son jardin secret.

 

L'histoire de ces Mercedes blindées, même si elle n'éclaire pas les faits reprochés aux accusés comme l'a souligné l'avocat-général Jean-Baptitse Andries, fait partie de l'histoire de l'affaire Dutroux. Et huit ans après, on ne sait toujours pas avec certitude pourquoi une telle mise en scène fut orchestrée.

- C'était une première en Belgique, raconte Jean-Marc Connerotte. Je n'avais jamais vu un procureur du Roi et un juge d'instruction se voir infliger un tel climat. Nous avions appris de la gendarmerie qu'il y avait un projet de contrat sur un magistrat. Nous étions convoqués tous les vendredis à la gendarmerie. Un officier nous exposait l'évolution de la situation. Il nous disait que le danger augmentait, que notre vie privée elle-même était menacée.

Ce « danger » proclamé par la gendarmerie a subitement disparu au lendemain de l'arrêt spaghetti de la Cour de cassation dessaisissant Connerotte pour cause de suspicion légitime après avoir accepté un modique présent lors d'une soirée à laquelle assistaient Sabine et Lætitia.

- J'ai été dessaisi le 14 octobre, se souvient le juge. Le lendemain, les protections disparaissaient subitement.

Il poursuit :

 

- Je dois à la vérité de dire qu'en septembre 1996, j'ai reçu deux personnes qui m'ont dit qu'il s'agissait d'une manipulation orchestrée par la gendarmerie. En temps réel, c'est impossible de s'en rendre compte. On voulait, me disaient-elles, me manipuler, me mettre sous cloche.

La gendarmerie était en cet été cauchemardesque 1996 la cible de toutes les critiques. Elle eut recours à un prétexte volontairement gonflé pour s'assurer la mise sous cloche des magistrats chestrolais.

- Un sujet français a été mis en cause, explique le juge Connerotte. Ils le suspectaient d'appartenir à la bande Dutroux. Cela l'a fortement ébranlé. Ce monsieur a pété les plombs. On peut le comprendre. Certains ont le sens de l'honneur. Lui l'avait. Un rapport a d'ailleurs été dressé par la gendarmerie française sur cette histoire, m'a appris un avocat français que j'ai reçu.

 

Le juge n'en dit pas plus.

 

Voici donc ce que nous pouvons révéler sur cet épisode.

 

Le sujet français évoqué par Jean-Marc Connerotte s'appelait Philippe Aouali. Il a, depuis, changé de nom et réside dans la région de Charleville-Mézières où nous l'avions rencontré il y a quelques semaines. Aouali était en conflit familial avec sa compagne belge. Il s'érigeait contre des décisions de justice rendue par le tribunal de Neufchâteau et s'était commis de menaces, en relation avec son affaire, à l'égard de magistrats. Lorsqu'en septembre 1996, deux jeunes filles disparaissent à Bouillon, il est aussitôt qualifié de suspect de leur enlèvement, présenté médiatiquement comme un membre possible de la « bande Dutroux ». L'enlèvement des deux jeunes Bouillonaises n'était qu'une simple fugue. Aouali, lui, est signalé internationalement. Dans sa voiture retrouvée en France, les gendarmes saisissent l'équivalent de 300.000 FB, une somme qui sera présentée comme « l'argent du contrat » passé sur la tête des magistrats de Neufchâteau.

 

L'un des avocats de Michel Nihoul exhibe ensuite une lettre adressée par le juge Connerotte au procureur du Roi Michel Bourlet dans lequel le magistrat instructeur fait état d'un processus judiciaire visant à susciter un blocage judiciaire .

 

 

- Durant vos deux mois d'enquête, intervient le président Goux, que s'est-il passé ? Y a-t-il eu des blocages ?

- Les pressions, c'est très subtil, répond Jean-Marc Connerotte. Il y a les conditions de travail, l'orchestration par la gendarmerie des menaces dont nous avons été victimes, ces 18 heures par jours prestés, ces 3 nuits blanches sur une semaine, ces 100 procès-verbaux par jour. C'est une forme de pression.

 

L'avocat de Nihoul évoque ensuite une autre déclaration de Jean-Marc Connerotte, auditionné par son successeur, le juge Jacques Langlois.

- Vous lui avez répondu que « des personnes en toute impunité avaient décidé de ne pas laisser aux victimes le choix de vivre. Je n'ai pas à donner de noms, des identités. »

Jean-Marc Connerotte demande à revoir sa déclaration.

- Je me réfère au rapport Othello, reprend-il. Tout était là pour élucider l'affaire. Je suis convaincu que si la juge Martine Doutrèwe avait été en possession de ce que j'avais en août 1996 (NDLR : le dossier Othello), elle aurait réussi.

Le 11 août 1995, avait rappelé plus tôt le bâtonnier Magnée, principal avocat de Marc Dutroux, la gendarmerie de Charleroi avait transmis à la brigade de Grâce-Hollogne l'état de ses soupçons sur le pédophile, les témoignages indiquant qu'il préparait des caches, ses antécédents.

Me Xavier Attout, avocat de Michel Nihoul, lance une question à l'apparence anodine. Dans son intervention surgit le nom de l'avocat de Lætitia, Georges-Henri Beauthier, conseil en 1994 du juge Connerotte. C'est l'incident. Me Beauthier se lève et tonne : Je refuse que cette question soit posée. J'exige que le bâtonnier soit appelé.

C'est la première bataille de ce procès. Les jurés, sur leur banc, sont médusés. Ils ne comprennent visiblement pas ce qui vient de se passer, tant la portée de la question de Me Attout que la force de la réaction de Me Beauthier.

Osons une explication. En établissant un lien par le biais d'une question puisée sur un fait consigné dans le dossier, la défense de Nihoul entendait sans doute faire valoir que l'avocat de Lætitia (qui incrimine Nihoul) fut le défenseur du juge qui l'inculpa et qui, hier encore, a fait longuement part à la cour d'assises de ses doutes mâtinées de quasi-certitudes sur l'implication de Michel Nihoul dans les activités criminelles de Dutroux.

 

La guérilla entre avocats a connu sa première salve. Le bâtonnier de Neufchâteau a calmé les esprits. Me Beauthier a estimé qu'il avait été la cible d'une « bassesse » de son contradicteur.

 

Dans la matinée, le juge Connerotte s'était livré à un monotone rappel du déroulement de son instruction, poursuivie du 11 août 1996 au 14 octobre, jour de son dessaisissement. Une présentation très technique, appuyée par la projection de tableaux sans émotion.

 

La libération de Sabine et Lætitia embrassant Marc Dutroux à leur sortie de la cache ?

- C'était épouvantable comme scène. Leur conditionnement était machiavélique

La cache ?

- Elle fut conçue avec un professionnalisme effrayant.

Lelièvre ?

- C'était le maillon faible ». Dutroux ?

- Il adapte ses déclarations. C'est un manipulateur.

 

Le juge Connerotte s'est longuement exprimé sur Michel Nihoul, une personnalité qui apparemment essaie de manipuler son interlocuteur, visant son intérêt, notamment financier.

Le juge, témoin à Arlon de l'affaire qui l'a rendu si populaire, s'en est allé vers 16 h de la salle d'audience. Cette audition clôture pour lui l'affaire Dutroux. Du moins professionnellement. car ces instants d'horreur d'août 1996 resteront indélébilement gravés dans la mémoire de ce magistrat, comme l'a montré cet instant de sincérité dramatique livré aux jurés.

Dans son box, Dutroux se lissait la moustache. On ne sait pas si derrière sa main couvrant à cet instant ses lèvres, il a osé esquisser un sourire de revanche à l'égard de celui qui mit fin à sa folie criminelle.

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